Bisse du Ro Crans-Montana : promenade alpine entre nature et patrimoine

Bisse du Ro Crans-Montana : promenade alpine entre nature et patrimoine

Entre les falaises ensoleillées de Crans-Montana et les douceurs boisées du versant sud du Valais, s’étire une promenade où se conjuguent patrimoine, nature et ingénierie traditionnelle : le bisse du Ro. Ce petit chef-d’œuvre d’ingéniosité alpine, aujourd’hui réhabilité à des fins récréatives, est aussi un précieux témoin de notre histoire hydrologique et sociale. À l’heure où tourisme durable et reconnexion au territoire font écho aux préoccupations grandissantes des Suisses romands, retour sur un sentier pas comme les autres.

Un vestige vivant du patrimoine hydraulique valaisan

Les bisses sont à la Suisse ce que les terrasses de riz sont à l’Asie : un système astucieux, façonné par la main de l’homme pour dompter un environnement contraignant. À Crans-Montana, le bisse du Ro, datant probablement du XIIIe siècle, en est l’un des exemples les plus spectaculaires. Suspendu à flanc de montagne, il acheminait autrefois – sur près de 6 km – les eaux du torrent Tièche jusqu’aux cultures de la rive droite du Rhône.

Il faut imaginer les conditions titanesques dans lesquelles ce bisse fut creusé : des parois abruptes, un accès difficile, un entretien impitoyable assuré par des « garde-bisses » qui risquaient leur vie pour garantir un écoulement continu durant la sèche saison estivale. L’abandon de cette technologie au XXe siècle, remplacée par des systèmes d’irrigation modernes, a failli signer la perte de ces structures patrimoniales.

Heureusement, Crans-Montana a misé, dès les années 2000, sur leur réhabilitation dans une optique de valorisation touristique et paysagère. Le bisse du Ro, rouvert au public en 2010, est aujourd’hui un itinéraire prisé des promeneurs en quête d’authenticité et de fraîcheur.

Une randonnée accessible dans un décor grandiose

Le bisse du Ro se distingue par son accessibilité autant que par son cachet. Le parcours total entre Vermala et la Tièche couvre environ 5 à 6 kilomètres (aller) et s’effectue en 2 à 3 heures, selon votre rythme… et le nombre de photos prises. En effet, difficile de ne pas s’arrêter à chaque virage pour admirer le panorama sur les sommets du Val d’Anniviers, le vallon de la Tièche ou encore le lac de Tseuzier au loin.

Mais ce sentier réserve aussi quelques sueurs froides, notamment au niveau du fameux « passage du Ro », une portion taillée à même la roche où les promeneurs longent une falaise abrupte, protégés par des câbles métalliques. Si vertige et sécurité restent des considérations légitimes, les aménagements actuels garantissent une expérience sans danger – à condition de porter de bonnes chaussures et de ne pas se risquer hors saison.

Une question triviale mais fréquente : peut-on faire le bisse avec des enfants ? Oui, mais l’idéal est de s’arrêter avant les passages les plus exposés. Des panneaux informatifs jalonnent la première partie du sentier, permettant même de transformer la balade en sortie éducative.

Écologie, patrimoine et tourisme doux : un équilibre à trouver

Ce qui rend le bisse du Ro si intéressant du point de vue du développement local, c’est sa capacité à rallier plusieurs objectifs contemporains :

  • Encourager un tourisme respectueux de l’environnement.
  • Préserver un savoir-faire traditionnel en voie de disparition.
  • Favoriser la redécouverte du territoire par ses habitants eux-mêmes.

Crans-Montana Tourisme estime que près de 25 000 randonneurs empruntent ce sentier chaque année, ce qui en fait l’un des parcours les plus fréquentés de la région après le tour du lac Grenon. Ces chiffres invitent néanmoins à la vigilance. Trop de passages pourraient compromettre l’intégrité du site et déranger la faune locale, notamment les chamois et marmottes qu’on observe parfois à l’aube ou au crépuscule.

Face à cela, la commune a pris plusieurs mesures, comme l’interdiction de VTT sur le tronçon le plus étroit et l’installation de blocs indicateurs de fréquentation grâce à une collaboration avec l’Institut de géomatique de Sierre. Ces données, croisées avec les retours d’expérience des promeneurs, permettent d’ajuster la gestion du site en continu.

Une revalorisation bénéfique pour l’économie locale

Si le bisse satisfait les randonneurs occasionnels, il constitue aussi un levier non négligeable pour l’économie touristique locale. Selon une étude publiée en 2021 par l’Université de Lausanne (HEC Valais), les sentiers patrimoniaux comme ceux de Crans-Montana engendreraient un panier moyen de consommation de CHF 38.- par visiteur et par jour (dépenses en restauration, transports, hébergement, etc.).

Ajoutez à cela l’effet « halo » sur les artisans et producteurs de la région – apiculteurs, fromagers, vignerons – qui participent à des événements ponctuels le long du bisse (comme la « Balade gourmande » annuelle) et vous obtenez un modèle de tourisme résilient, axé sur les circuits courts et le patrimoine vécu.

Anne, gérante d’un petit gîte à Mollens, en témoigne : « En juillet et août, une part croissante de mes clients viennent spécifiquement pour faire les bisses, parfois même plusieurs d’affilée durant la semaine. Le bouche-à-oreille joue beaucoup, et les gens apprécient qu’on leur raconte l’histoire du lieu plutôt que de simplement leur vendre une chambre. »

Des pistes pour inspirer d’autres régions

Au-delà de sa valeur intrinsèque, le bisse du Ro peut être vu comme un cas d’école sur la reconversion d’un patrimoine technique en vecteur de dynamisme territorial. D’autres régions suisses, et pourquoi pas du reste de l’Arc alpin, pourraient s’inspirer de cette approche pragmatique, conciliant économie, culture et environnement.

Quelques facteurs-clés à retenir :

  • Impliquer les habitants dès les premières phases du projet (réunions d’information, chantiers participatifs).
  • Associer les écoles locales – plusieurs classes de Crans-Montana ont travaillé sur des projets pédagogiques autour des bisses.
  • Suivre l’évolution de la fréquentation et anticiper les points de saturation.
  • Mettre en lien les promoteurs touristiques, les géographes, les écologues et les historiens pour assurer une approche systémique.

En Suisse romande, on recense encore plus de 200 km de bisses praticables, de la vallée de Bagnes à celle du Lötschental. Chacune de ces veines aquatiques raconte une histoire singulière, susceptible de raviver le lien entre l’homme et son paysage.

Marcher le bisse, mais penser plus loin

Le succès du bisse du Ro offre à la fois une respiration pour les amateurs de nature et de beaux paysages, et une inspiration concrète pour les acteurs du développement territorial. Que ce soit pour capter l’intérêt d’un public urbain en quête de déconnexion ou pour raviver une économie de montagne durable, ces sentiers chargés d’histoire ouvrent la voie à des formes de tourisme plus réfléchies.

Et vous, la dernière fois que vous avez marché le long d’un bisse, avez-vous pensé à la complexité qu’il a fallu pour faire couler cette eau ? Derrière chaque pas, un savoir-faire. Derrière chaque ruissellement, des siècles de proximité entre l’homme et son environnement. Voilà une histoire qu’il serait dommage de laisser tarir.